2011-37-texte

Vers la version PDF

Mollusques actuels allochtones de Méditerranée et plus spécialement du littoral languedocien

Par Jacques PELORCE

RESUME : La définition des espèces allochtones est donnée en préambule, les différentes voies d’introduction de ces espèces dans notre Méditerranée sont détaillées, les 6 espèces de mollusques allochtones présents aujourd’hui sur notre littoral languedocien sont décrits et figurés enfin quelques autres espèces allochtones présentes en Méditerranée, mais pas encore rencontrées sur notre littoral, sont figurées ;

MOTS-CLES : mollusques, allochtones, Méditerranée, détroit de Gibraltar, main de l’homme, Canal de Suez, anecdotique, notre littoral gardois.

Définition des espèces allochtones en Méditerranée.

Le petit Larousse nous dit :
« ALLOCHTONE : adjectif en zoologie et botanique, se dit d’une espèce d’apparition récente dans la région considérée ».
Cette définition nous renvoie à trois questions :
« Apparition » : naturelle ou liée à l’homme ?
« Récente » : à quelle échelle de temps ?
« Région » : Définition de la région ?
Des réponses à ces trois questions sont nées diverses polémiques et discussions. La tendance actuelle est de considérer comme espèce allochtone une espèce connue comme vivant dans une province malacologique et s’étant adaptée dans une autre province malacologique, que cette présence et adaptation soit liée à l’activité humaine ou soit d’origine naturelle et ce, à l’échelle humaine bien entendu. Cette définition ne lève pas toutes les incertitudes et les possibilités de discussion mais elle a le mérite de clarifier les choses pour 95 % des espèces concernées. De plus il est nécessaire que depuis plusieurs années, une population pérenne de cette espèce ait pu s’établir, se reproduire et prospérer.
Les différentes voies d’introduction des mollusques :

Le détroit de Gibraltar
Cette première voie naturelle est la plus ancienne même si d’un point de vue géologique elle n’est pas si vieille. Cette voie a été empruntée par des espèces de la province Afrique de l’Ouest qui sont ici à la limite de leur aire de répartition, que la dernière période glaciaire avait repoussé et que l’actuelle période de réchauffement favorise. Les introductions sont cependant très limitées car le détroit de Gibraltar constitue un seuil très difficilement franchissable par les larves des mollusques, leur pénétration en méditerranée se limite alors bien souvent aux rives de la Mer d’Alboran soit quelques dizaines voire centaines de kilomètres. On peut citer Eastonia rugosa (Helbling,1779), Calliostracum gracile (Maltzan, 1883), Pedipes pedipes (Bruguière, 1789).

La main de l’Homme
Il s’agit là du deuxième type d’introduction qui lui-même se subdivise en deux suivant que l’introduction a été volontaire ou involontaire.

Volontairement
Les introductions volontaires de mollusques ont, jusqu’à présent, été à but alimentaire, ce sont pratiquement exclusivement des mollusques lamellibranches. Parmi les principaux on peut citer : Crassostrea gigas (Thunberg, 1793), Ruditapes Philippinarum (Adams & Reeve, 1850). Des questions se posent sur Mytilus galloprovincialis car les ancêtres de notre moule sont rares dans les sites archéologiques, mais l’espèce n’est pas connue ailleurs, peut-être s’agit-il d’une mutation génétique ? Le débat est ouvert. Depuis quelques temps, pour lutter contre la Caulerpa taxifolia, le Professeur Meinez parle de l’introduction volontaire d’un mollusque de la famille des nudibranches, espérons que cette introduction ne se fasse pas, il est très difficile de prévoir le devenir de telles espèces dans un milieu qui n’est pas leur milieu d’origine.Les introductions volontaires à titre « expérimental » ouà d’autres titres plus ou moins avouables n’existent pas a ma connaissance aujourd’hui. Pendant quelques temps on a soupçonné quelques collectionneurs peu scrupuleux d’avoir introduit un strombe dans le bassin oriental pour pouvoir vendre très cher une « curiosité », cette hypothèse a été abandonnée au profit d’une introduction naturelle par le canal de Suez de Strombus persicus Swainson, 1821.

Involontairement
Les introductions involontaires peuvent avoir de multiples causes. La conchyliculture et le transport de naissain de moules, palourdes ou encore d’huitres sont une des causes d’introduction involontaire de larves de mollusques. En méditerranée, on peut citer par cette voie l’introduction de Crepidula fornicata (Linné, 1758) qui elle même avait été introduite sur les rivages atlantiques de la France. Mya arenaria Linnaeus, 1758 qui avait été introduite volontairement sur les côtes de l’Atlantique est arrivée involontairement par ce moyen sur nos côtes méditerranéennes. Les bateaux de commerce ayant des vitesses de plus en plus importantes, certaines espèces peuvent arriver en restant fixées sur la coque ou les chaînes d’ancrage des bateaux. On soupçonne Rapana venosa (Valenciennes, 1846) d’être ainsi arrivée dans les années 70 en mer Noire où elle forme maintenant des colonies si importantes qu’elles sont même exploitées à des lins alimentaires. Un autre vecteur lié aux bateaux est le ballastage des cuves vides et le transport de grandes quantités d’eau de mer pompées à un endroit et relâchées plus loin avec toutes les larves et le plancton qui peut alors être encore vivant. On soupçonne que par ce vecteur sont arrivées récemment dans nos eaux Musculista senhousiae (Benson in Kantor, 1842) et Xenostrobus securis (Lamarck, 1819) qui se trouvent dans les eaux saumâtres de nos étangs et de nos embouchures de rivières.

Le canal de Suez
Il s’agit là de la dernière, et de loin la plus importante, voie d’introduction de mollusques allochtones. Cette voie est à la fois due à l’homme et naturelle. L’homme a creusé l’isthme de Suez et réalisé le barrage d’Assouan, les espèces s’introduisent d’elles mêmes dans la Méditerranée en empruntant ces voies artificielles et en bénéficiant de la modification de la salinité du delta du Nil. Ces introductions représentent environ cent dix espèces, parmi elles quelques espèces remarquables comme Erosaria turdus (Lamarck, 1810) qui est maintenant bien implantée dans le golfe de Gabès en Tunisie ou Strombus decorus (Rôding, 1798) qui a envahi tout le bassin oriental de la Méditerranée. Ce nombre grandit rapidement surtout depuis une vingtaine d’années. Il s’agit là principalement de mollusques de petite taille qui se sont installés dans le bassin oriental depuis la sortie du canal de Suez et qui en longeant les côtes de l’Asie mineure sont arrivés aujourd’hui jusque dans l’archipel des îles grecques. Ces introductions nombreuses et non maîtrisées pourraient à terme amener quelques changements dans notre écosystème méditerranéen, les mondes en présence, Nord Atlantique et Océan indien, ont évolué chacun de leur côté sans échange depuis plusieurs dizaines de millions d’années et leur mise en contact brutale, à l’échelle géologique, nous réservera certainement quelques surprises.

Découvertes anecdotiques
On peut citer une découverte faite par un de mes amis malacologue qui un jour sur une petite partie de la presqu’île de Saint Jean Cap Ferrat a trouvé une population bien vivante de Littorina littorea (Linnaeus, 1758). Cette espèce ayant une répartition atlantique seulement, cette découverte était très intéressante. Pendant plusieurs mois il a suivi l’évolution de cette population jusqu’à ce qu’un jour il surprenne un employé du restaurant voisin en train de jeter quelque chose à la mer. S’étant
approché il s’est aperçu qu’il s’agissait d’une poignée de Littorina littorea. Cet employé avait pris l’habitude, quand il lui restait quelques « bigorneaux » qui commençaient à ne plus être très frais, de les remettre à l’eau et certains survivaient !
Une autre découverte, faite celle-là sur le littoral des Saintes Marie de la Mer dans les années 70, a posé pendant longtemps problème. Régulièrement des coquilles vides de Monetaria annulus (Linnaeus, 1758) étaient rejetées sur les plages entre le Grau du Roi et les Saintes Marie de la Mer. Au total plusieurs centaines de coquilles ont été retrouvées, malheureusement jamais un seul animal vivant ou une coquille avec des parties molles. Depuis les années 80 la source s’est tarie. Il s’agissait du rejet en mer d’un sac de coquillages destiné aux boutiques de souvenir du littoral.
Il peut aussi arriver que l’on trouve des coquilles d’espèces étrangères à notre faune comme des porcelaines, des cônes ou bien des espèces comestibles comme les buccins ou les moules tropicales, ces coquilles ne peuvent servir à qualifier ces coquilles d’espèces allochtones tant que des populations vivantes et pérennes n’ont pas été observées.

Les mollusques allochtones de notre littoral languedocien

Aujourd’hui on a recensé 6 espèces de mollusques allochtones sur notre littoral :

Crepidula fornicata (Linné, 1758) qui a été trouvée à de nombreuses reprises depuis une quinzaine d’années rejetée sur les plages du Boucanet après les tempêtes. Ces rejets se sont toujours faits en petit nombre d’individus, il ne semble pas que cette espèce ait trouvé un milieu aussi favorable que sur l’Atlantique ou sa présence est maintenant considérée comme un véritable fléau.
Crassostrea gigas (Thunberg, 1793), l’huitre creuse de nos étals de poissonnier, elle, est élevée depuis très longtemps sur notre littoral et des spécimens peuvent être trouvés occasionnellement dans le milieu naturel. Mya arenaria (Linnaeus, 1758) cette espèce nord américaine a été importée à des fins alimentaires sur les côtes atlantiques vers le XVII'”” siècle, l’origine de sa présence en Méditerranée est inconnue, plusieurs exemplaires ont été retrouvés sur nos plages après les tempêtes, des milliers de coquilles sont régulièrement rejetées sur le littoral de l’Etang de Berre.
Musculista senhousiae (Benson in Kantor, 1842) l’origine de l’importation de cette espèce de l’Océan Pacifique est inconnue, c’est une espèce qui se plait bien dans les lagunes littorales, elle a envahi l’Etang de l’Or sur notre littoral où on peut trouver des centaines de spécimens morts rejetés sur les berges et dans le même temps une espèce locale Mytillaster marioni (Locard 1889) a disparu, mais aucun lien n’a pu être établi entre ces deux faits, il s’agit d’une simple constatation.

Xenostrobus securis (Lamarck, 1819), comme pour l’espèce précédente l’origine de l’importation de cette espèce de l’Océan Pacifique n’a pas été clairement identifiée même si l’importation de naissain d’huitres en provenance de ces régions peut-être soupçonnée. Depuis quelques années elle a colonisé les berges du Vidourle en amont du port du de pêche du Grau du Roi où on peut la trouver en grand nombre fixée sur les enrochements des berges au niveau des basses eaux. Ruditapes philippinarum (Adams & Reeve, 1850), cette espèce en provenance de l’Océan Pacifique a été introduite volontairement sur notre littoral à des fins commerciales, son élevage et sa récolte sont plus faciles que pour l’espèce locale Tapes decussatus (Linnaeus, 1758) ; elle a remplacé l’espèce locale pratiquement sur tous les étals de nos poissonniers malgré une qualité gustative peut-être un peu inférieure.

1 Crepidula fornicata importation involontaire sur les côtes atlantiques et aujourd’hui en méditerranée
2 Crassostrea gigas importation à des fins alimentaires
3 Muscu/ista senhousiae importation avec des naissains d’huîtres ou de moules 4 Xenostrobus securis importation avec des naissains d’huîtres ou de moules
5 Ruditapes philippinarum importation volontaire à des fins alimentaires 6 Mya arenaria importation d’origine inconnue

Photos de quelques mollusques allochtones présents en Méditerranée mais pas encore découverts sur notre littoral languedocien;
7 Pedipes pedipes pénétration naturelle d’une espèce ouest africaine en mer d’Alboran
8 Pema picta pénétration naturelle d’une espèce ouest africaine en mer d’Alboran
9 Strombus persicus pénétration par le canal de Suez
10 Neptunea contraria espèce sub-fossile
11 Rapana venosa importation par bateaux
12 Erosaria turdus espèce venue par le canal de Suez trouvée dans le Golfe de Gabes en Tunisie
13 Monetaria annulus rejet en mer d’un ou plusieurs sacs de coquilles mortes sur le littoral camarguais
14 Littorina littorea présence ponctuelle due à des rejets alimentaires

Bibliographie

BOUCHET Ph., DANRIGAL F., HUYGHENS C. (1978). – Coquillages des côtes atlantiques et de la Manche.
Les éditions du Pacifique, Tahiti
BUCQUOY E., DAUTZENBERG P., DOLLFUS G. (1882-1898). – Les Mollusques marins du Roussillon.
Baillère & Fils, Paris
CLEMENT C. (1875). – Catalogue des mollusques marins du Gard. Bull. Soc. Et. Sci. Nat. Nîmes, 3 : 25-34 PELORCE J. (1995) – Un débarquement pacifique sur les côtes de golfe du Lion ! Xénophora Numéro 71 PELORCE J. (2008). – Les Mollusques marins du Golfe d’Aigues-Mortes et de la Camargue, Bull. Soc. Et. Sci. Nat. Nîmes, 66 : 39-53
PENEZ A. (1969) Sur la présence de Cypraea annulus L. dans le Golfe de Beauduc. Bull. Soc. Et. Sci. Nat. Vaucluse, 37e-39e années.
ZENETOS A., GOFAS S , RUSSO G., TEMPLADO J. (2003) – CIESM Atlas of Exotic Species in the Mediterranean Vol. 3. Molluscs [F. Briand, Ed.]. 376 pages. CIESM Publishers, Monaco

Jacques PELORCE