1946-93-Texte

Vestiges préhistoriques en Cévennes schisteuses au nord-ouest d’Alès
( La Chaîne du Mortissou)
Carte d’Etat-Major Alès S.E. (N° 209)
coord. 214, 6-729 et Alès S.-O. (N° 209) coord. 215-723.
par J. SALLES

Aux confins des départements de la Lozère et du Gard, la crête du Mortissou s’allonge entre les vallées typiquement cévenoles du Gardon d’Alès et de son affluent, le Galeizon. Elle culmine à 903 m. au Signal de Lichère et s’étend depuis le Col de la Croix des Vents (340 m.) jusqu ‘à celui du Pendedis (650 mètres).
Elle est constituée presque exclusivement par des schistes siliceux primitifs. Sur ces terrains anciens, aucune station de plein air n ‘a pu être repérée jusqu’à présent.
L’occupation du sol a dû primitivement se faire le long des « drailles ». C’est en suivant ces antiques chemins de crête que nous rencontrons des vestiges archéologiques intéressants.
Une draille, autrefois importante, mais aujourd’hui complètement abandonnée, ayant même disparu par endroits, parcourait la crête du Mortissou sur toute sa longueur. Elle a été aménagée plus tard en sentier muletier, puis en chemin de; chars, dont ont voit par endroits les profondes ornières. Cette « draille » partant des environs d’Alès, passe au col de la « Croix des Vents », grimpe au lieu dit le « ·Ron-Traoucat ·», ou l’on remarque une belle tranchée creusée dans le roc, elle continue par le col de la « Baraque » (653 m,.) contourne le Signal de Lichère par le versant Nord, franchit le col du Mortissou (762 mètres), débouche au col du Pendedis ·et fait sa jonction avec la « Grande Draille » sur les pentes du Mont-Cam.
Ces drailles paraissent de tout temps avoir servi de passage aux troupeaux transhumants, à partir de la période néolithique.
Les pasteurs des différentes civilisations qui ont fréquenté les crêtes cévenoles y ont laissé des traces évidentes, que nous examinerons successivement.

Les pierres à cupules.

Il est incontestable que certaines de ces cavités se sont formées naturellement, sous l’action des agents d’érosion, mais celles qui ont été creusées par la main humaine se reconnaissent très distinctement à la régularité de leurs formes et au fini du travail. Dans certains groupes, les cupules sont réunies par des sillons.
Les pierres à cupules sont particulièrement abondantes sur le roc de Manière, qui constitue l’éperon Sud -Est du Signal de Lichère qui domine le col de la Baraque, et aussi dans les parages du col du Mortissou, à l’Est et à l’Ouest du col.
Mentionnons une curieuse cupule dite « Peiro-del-Lun » creusée très profondément dans un bloc granitique non en place, près de Soustelle.

Les bassins.

Ce sont des cupules de très grandes dimensions, mais beaucoup moins fréquentes.
On en observe sur les rochers de Combe-Frège (éperon Nord-Est du signal de Lichère), dans les .parages du Col du Mortissou et près du site médiéval de Ste .Foy, au Nord de Blannaves.
La destination des cupules reste l’une des énigmes de la; préhistoire. Plusieurs théories ont été avancées : pierres à sacrifices, autels à offrandes, culte de l’eau (les pasteurs de l’âge du Bronze ayant besoin de pluies pour leurs pâturages). Il faut aussi admettre que la tradition de graver des cupules s’est transmise au cours des génération, et et a pu devenir naguère le simple passe-temps de pâtres désœuvrés.

Les signes gravés.

En 1952, j’ai observé sur les pentes N.E. .du Signal de Lichère, aux lieux-dits « Combe-Frège » et « Les Avessets » dominant le hameau du Castanet (commune de Branoux, Gard), des gravures en creux sur rochers schisteux. Ces gravures ont une forme de fer à cheval, l’ouverture tournée en général vers le Sud-Est, et présentant parfois un point central marqué en creux. Sur d’autres rochers situés en contre-bas du hameau du Castanet, il existe d’autres signes de forme analogue, plus petits, mais mieux gravés (probablement au moyen d’un outil aigu en fer). Nous croyons qu’ils sont .une curieuse imitation de ceux de Combe-Frège réalisée beaucoup plus tard. On ne peut donner. aucune explication de ces gravures. Des signes analogues ont été relevés en Espagne (Province d’Albuquerque), en Irlande, sur des dolmens et menhirs de Bretagne (travaux de St. Just-Péquart et Le Rouzic), et sur des rochers calcaires au Castelet près d’Arles. Ces analogies, la facture particulière de ces gravures, leur patine et la présence dans leur voisinage immédiat de sépultures dolméniques, laissent présumer à ces gravures rupestres une origine fort ancienne.

Les sépultures mégalithiques.

Elles se trouvent très souvent par groupes ; dans leurs parages, on remarque les plus importants groupes de cupules bassins, signes gravés. Ces sépultures sont échelonnées le long des drailles. Examinons de plus près leur situation sur la crête du. Mortissou.
Au dessus du pont de Robinson (vallée du Galeizon), sur un éperon rocheux prolongeant au S.-O. la montagne qui porte le château de Périès, nous notons un ensemble important de 16 sépultures.
Plus près du château de Périès, au voisinage d’une draille secondaire, nous avons observé deux autres sépultures.
Au « Ron-Traoucat » sur la Crête principale, à l’Ouest de laCroix des Vents, nous en notons trois au voisinage de la côte 557.
Sur les pentes du Signal de Lichère, nous voyons une sépulture très dégradée au Col des Trois-Pierres dominant La Baraque, puis un groupe de trois tombes sur les rochers de Combe-Frège, près des signes gravés. Reprenant le parcours de la crête principale, au delà du col du Mortissou en allant vers l’ouest, nous rencontrons deux autres sépultures, puis un énorme tumulus avec sépulture adventice au sommet même de la cote 807. Toujours plus loin, en direction du Pendedis nous trouvons encore cinq tombes analogues sur la cote 835, une sur la côte 832 et enfin, la dernière de l’ensemble sur la pente ouest ·du. signal de St-Michel (896 m.).
Ces sépultures (35 au total) sont constituées par trois ou quatre dalles schisteuses (lauzes) formant en plan un caisson rectangulaire de un à deux mètres de longueur sur 0 m. 50 à 0 m. 70 de largeur. Souvent, un tumulus limité par une murette de pierres sèches, entoure le caisson. Malheureusement, presque toutes ces tombes sont très dégradées et ont été fouillées autrefois, sans doute par des ·bergers. On peut reconnaître plusieurs types de sépultures.
a) le caisson rectangulaire, qui devait être primitivement constitué par quatre dalles debout en rectangle, au centre d’un tumulus. La cavité était certainement recouverte d’autres dalles posées à plat, et le tout disparaissait sous le tumulus.
b) le petit dolmen, construit d’après le même type, mais les dalles schisteuses étaient de dimensions sensiblement plus grandes. De plus, le tumulus, moins important, ne devait pas le recouvrir. On observe ce type à Combe-Frège et près du Col du Mortissou.
Remarque : Un petit dolmen analogue est signalé sur l’éperon rocheux dominant les mines de Carnoulès, à 1km au Sud du. hameau de même nom (Commune de St-Sébastien d’Aigrefeuille), mais les dalles de celui-ci sont en grès. Il parait réaliser la transition entre les dolmens plus grands de la Grande Paillère et ceux des Cévennes schisteuses.
c) Le caisson triangulaire, avec deux dalles inclinées formant un toit à deux pentes (le plan restant rectangulaire), enfoui plus profondément au centre du tumulus. Ce dernier mode d’ensevelissement paraît dater de la période de Hallstatt. Notons que ces trois types se retrouvent sur la montagne de Maguielle (commune de St-Jean-du-Pin), à l’Ouest d’Alès.
Jusqu ‘à présent, je n’ai pu effectuer que des sondages dans six de ces sépultures. Le matériel recueilli y est fort pauvre.. Toutes ces tombes renferment du charbon de bois, parfois assez abondamment. Un _sondage dans une sépulture de section rectangulaire du groupe de Robinson a permis de recueillir des débris d’ossements humains, très décalcifiés, réduits à l’état de. menus fragments, en outre, j’y ai recueilli trois tessons de poterie jaunâtre (dont un rebord) et une fibule en bronze (époque d’Hallstatt) à bouton relevé, rappelant le type de la Certosa.
Un autre sondage, dans une sépulture en caisson de section, rectangulaire, toujours dans le groupe de Robinson, m’a fourni la stratigraphie suivante :
– 0 à 10 cm terre végétale
– 10 à 40 cm terre brune, mélangée à charbons de bois fins
– 40 à 55 cm pierraille, terre jaune, débris de charbon de bois plus gros
Dans cette dernière couche ont été recueillis deux fragments de poterie brune non ornée (dont un rebord) et une pointe de flèche allongée en silex gris, tirée d’une lamelle.
– au dessous de 55 cm : pierres et rocher.
Cette sépulture paraît donc antérieure à la précédente ayant donné la fibule.
Dans l’un des dolmens de Combe-Frège, fouillé autrefois, il y avait deux petits fragments de poterie, de couleur brun foncé.
Dans le fond d’une sépulture du type a, au sud du château de Périès, j ‘ai trouvé une petite dalle schisteuse horizontale présentant deux légères cupules et un minuscule fragment de poterie jaune.
En outre, on peut signaler dans les déblais d’une sépulture fouillée très anciennement au « Ron-Traoucat » la découverte d’un caillou calcaire brut et d’une perle ronde en pierre ollaire.
Dans les déblais du grand tumulus de la cote 807, M. HUGUES a recueilli une pointe de flèche en silex gris, triangulaire.
Au mois d’Août 1959, nous avons trouvé un petit dolmen analogue à ceux de Combe-Frège, mais mieux conservé sur le rocher appelé le « Serre des Cades·», à l’ouest du hameau des Caussiers (commune de Branoux). Cette sépulture présente trois supports en dalles schisteuses, ·et la dalle de couverture a basculé sur le côté Est ; l’un des supports la retient encore. Elle a dû être fouillée autrefois. L’intérieur ne présentait qu’une couche mince de terre, de sept à dix centimètres d’épaisseur. Au centre cependant, une petite poche plus profonde a livré cinq à six tessons, de poterie brune, sans ornement, et du charbon, de bois. En outre, au bord du dolmen, la roche schisteuse est creusée de deux bassins.
Au sud du dolmen un pointement rocheux porte des cupules classiques et de petites cupules rectangulaires.
Sur la pente nord-est des rochers de Combe-Frège, une avancée rocheuse en dalle presque horizontale a été creusée d’une cupule à la fois sur sa face supérieure et sur sa face inférieure, et les deux cavités se rencontrant, la roche se trouve percée de part en part.
Sur un éperon rocheux, au sud du col du Mortissou, en contrebas et à gauche de la route qui va de la Baraque au Pendedis, un tumulus assez important rappelle celui de la cote 809, avec une petite borne repère plus récente au centre. Près de là, un rocher est gravé de nombreuses cupules, et plusieurs d’entre elles réunies par un sillon, forment une énorme tête de, serpent avec un corps minuscule.

Les sites rocheux.

En deux points, à Meyrières et à Ste-Foy, le rocher schisteux a été creusé de fonds d’habitation quadrangulaires, de couloirs, de bassins et de cupules, les unes rondes, les autres rectangulaires. Ces pointements rocheux ont, au Moyen-Age, supporté des châteaux-forts. On ne peut préciser ni la date, ni la destination exacte de ces importants travaux.

Conclusion :

Malgré la pauvreté des gisements et !’absence de stations de surface, la chaîne du Mortissou apparaît comme un haut-lieu culturel et religieux de la préhistoire en Cévennes. Cette partie de notre territoire a été, depuis une période très lointaine, une région .de passage, fréquentée par des populations pratiquant une économie pastorale très développée. Il serait souhaitable d’y entreprendre des recherches plus approfondies, avec fouilles méthodiques ·et comparaisons avec d’autres régions présentant, géographiquement et humainement, des caractères identiques ou voisins.

J. SALLES
Alès (Gard)